vendredi 18 septembre 2015

Contes modernes - 132

LOUP DES NEIGES

Carmin s'arrêta et réajusta son bonnet rouge qui lui glissait sur les yeux ainsi que le col de sa doudoune assortie. Il marchait depuis des heures et des heures dans la montagne battue par le vent, ses bottes s'enfonçant dans la neige qui tombait de plus en plus drue. Il était parvenu au sommet, mais il avait eu beau tourner dans les grands pins gelés, il n'avait pas trouvé trace du chalet de l'écrivain Cole Sorière. Sur son dos, son ordinateur portable lui pesait de plus en plus et à son bras, c'était le panier à provision contenant des friandises pour l'auteur dont il était désormais responsable qui se faisait de plus en plus lourd.
Carmin détestait penser qu'il était complètement perdu, mais plus les heures passaient, plus il était glacé et plus l'espoir de toucher au but diminuait. Faire demi-tour, c'était toutefois admettre sa défaite. Il ne pouvait se permettre un nouvel échec. Pas encore. Il consulta à nouveau les indications que lui avaient donné Elisa qui s'occupait de l'écrivain avant que sa grossesse ne la contraigne à passer la main. Aucun des points de repères donnés ne correspondait, hélas ! A croire qu'il s'était trompé de montagne ! Mais c'était impossible, il ne pouvait tout de même pas y en avoir trente-six portant ce nom-là !
Carmin trébucha sur une grosse pierre presque invisible sous la neige et tomba la tête première en avant. Le choc le fit gémir. Il voulut se relever, mais n'en eut pas la force. Il avait mal partout. Dans quelques minutes, il se remettrait debout, décida-t-il. Il s'en voulait. Il était parti si content, admirant la beauté du paysage enneigé, flânant presque malgré son envie de rencontrer enfin l'écrivain qu'il adorait. Dans la maison d'édition, personne n'avait voulu se charger de l'excentrique Cole Sorière qui vivait isolé dans la montagne et c'est pour ça qu'il s'était présenté, même s'il n'était normalement pas qualifié pour le poste. C'était l'occasion de prouver enfin sa valeur, tout en faisant connaissance avec un homme dont les œuvres le faisait rêver depuis l'adolescence. Tout était possible chez Cole Sorière alors que son propre monde n'était que limitations. Ses parents qui  avaient réussi à l'avoir sur le tard l'avaient honteusement couvé et encensé. Carmin avait cru qu'il était intelligent et beau comme ils le lui répétaient jusqu'à ce que d'autres sons de cloches ne parviennent à ses oreilles. Il était petit et pataud. Il avait fait tout ce qu'il avait pu pour s'intégrer classes après après classes, rendant services sur services à ses camarades, sans y gagner rien d'autre que l'étiquette de bonne poire. Cela avait continué quand il était entré dans la vie active. Au mieux, il était traité de naïf. Dans ses efforts pour être comme les autres, pour répondre aux attentes de ses parents, il avait essayé de sortir avec des femmes, même si elles étaient souvent plus grandes que lui ou, au mieux, de la même taille, mais il s'était pris râteau sur râteau. Aucune n'avait voulu de lui : il était trop petit, trop maladroit, trop crédule... Elles pouvaient prétendre à mieux. Leur refus l'avait blessé, même s'il n'était ni vraiment amoureux ni vraiment attiré par elles. Âgé à présent de vingt-cinq ans, son estime de lui-même était désormais au plus bas.
Carmin ferma les yeux. Étendu dans la neige qui l'ensevelissait peu à peu, il ne sentait plus le vent, même s'il l'entendait encore siffler et avait presque chaud. Cela lui donnait envie de dormir. Il tenta de rester éveillé, mais s'abandonna finalement au sommeil. Il n'avait plus la force de lutter. Ses parents étant morts l'année dernière, il savait qu'il ne manquerait vraiment à personne. Quelqu'un d'autre devrait se coltiner les tâches ingrates...

2 commentaires:

Jeckyll a dit…

C'est encore un super conte que tu vas nous offrir là merci à toi ^___^

Ce début de conte est très prometteur et on a envie d'en lire plus mais en attendant la suite passe un bon week-end XD

Illyshbl a dit…

Merci ! Bon week-end à toi aussi ! :)